Dans notre société moderne, le rôle des « valeurs » de l’entreprise prend une importance de plus en plus forte. La communication des grands groupes sur ces thématiques est croissante, ceux-ci ayant pris conscience de la place centrale qu’elle occupait aux yeux de certains consommateurs.
Or, les dirigeants d’une entreprise ont souvent tendance à construire une entreprise qui corresponde à leur vision du monde, qui soit liée à leurs valeurs personnelles. Par bien des aspects, on peut considérer que Tesla est à l’image de son créateur Elon Musk, fantasque et innovante.
Un bon dirigeant doit donc être en accord avec les valeurs de sa clientèle s’il souhaite que son entreprise fonctionne. Un excellent dirigeant doit comprendre le monde et identifier les changements sociétaux pour savoir adapter l’entreprise aux valeurs évolutives du monde qui l’entoure.
Dans les années 50, le psychologue américain Clare Graves a justement tenté de comprendre les changements sociétaux. Il développe sa théorie de la « spirale dynamique » où il estime qu’une société possède 8 niveaux de conscience, chaque niveau ayant un corpus de valeurs associées.
En 2014, le chercheur Laloux écrit Reinventing Organizations où il adapte la théorie de Graves à la sphère de l’entreprise. Son postulat est le suivant : chaque nouvelle étape franchie par une société humaine s’est accompagnée d’un bouleversement social, technologique, et en conséquence d’un bouleversement des modes d’organisation.
Or selon Laloux nous sommes actuellement en train de vivre un profond changement sociétal auquel les entreprises vont devoir s’adapter.
Nous allons donc analyser des 8 phases, et montrer quel palier notre civilisation est-elle en train de franchir.
Stade de survie
Il s’agit de la période de l’histoire de l’humanité où l’Homme est encore sédentaire. L’environnement qui entoure l’individu est naturellement hostile.
A ce stade, il n’y a pas de division du travail en dehors des rôles sexuels.
Stade de la sécurité
Il y a 70 000 ans, pour assurer la survie du groupe, les individus développent un instinct tribal avec des rites et un sentiment d’appartenance à la communauté.
Il n’y pas encore de véritable division du travail, même si les « anciens » ont une influence forte sur le comportement du groupe.
Stade du pouvoir
Il y a environ 10 000 ans, l’individu commence à affirmer sa puissance individuelle par l’utilisation de la force, et cherche à assouvir ses désirs dès qu’il le peut.
En ce qui concerne la division des taches, la figure du chef, l’alpha qui dirige la meute, apparait. Une hiérarchie se crée par le biais de la soumission et la peur.
Il y a 70 000 ans, pour assurer la survie du groupe, les individus développent un instinct tribal avec des rites et un sentiment d’appartenance à la communauté.
Il n’y pas encore de véritable division du travail, même si les « anciens » ont une influence forte sur le comportement du groupe.
Stade de l'ordre et du conformisme
Après un stade « violent », l’être humain aspire à plus de calme et s’organise en communautés stables, régies par des règles religieuses, politiques, administratives, … Ce stade est notamment permis par la révolution agricole il y a 6000 ans.
Les organisations commencent à mettre en place des « processus », des corpus de règles à suivre pour faire fonctionner l’organisation. Se sont souvent des structures figées qui ont du mal à s’adapter aux changements.
Stade matérialiste
On peut considérer que ce stade a été franchi avec la révolution scientifique entre le 16ème et le 18ème siècle. Le monde extérieur n’apparait plus comme hostile. L’individu cherche à mener une vie confortable d’un point de vue matériel notamment grâce au progrès de la science et de la technique. C'est l’avènement de la pensée rationnelle et du consumérisme. On constate donc que par bien des aspects, notre société est restée à ce stade.
Du point de vue de l’organisation, le but de l’entreprise est de maximiser les profits pour l’entreprise. Pour atteindre ce but, 3 valeurs fortes sont mises en avant :
- L’innovation: Les entreprises commencent à créer des équipes de R&D. On est à la recherche d’innovations de rupture qui permettraient d’éliminer la concurrence.
- Responsabilité: l’entreprise donne plus d’indépendance et de d’autonomie à ses salariés. Cette méthode de management passe la mise en place d’objectifs chiffrés.
- La méritocratie: On crée une émulation, une compétition entre les salariés en stimulant la performance individuelle avec des primes notamment. Des services ressources humaines sont mis en place afin de maximiser les performances de leurs salariés.
Laloux considère que des entreprises comme McDonalds, Coca-Cola ou Nike peuvent être placées à dans cette catégorie.
Stade pluraliste
Depuis les années 1970, une partie de la société a pris du recul face à la vision matérialiste du monde et aux dérives hyper-consuméristes qu’elle a pu causer. Les individus cherchent à donner plus de sens à leurs actions.
Au sein de l’entreprise, ce mouvement va se traduire par l’ambition de satisfaire toutes les parties prenantes. On s’intéresse aux « stakeholders » et plus seulement aux « shareholders » (actionnaires). Cela peut se traduire par des politiques RSE. Laloux prend exemple sur Suez Environnement, 10ème au rang du Social Media Sustainability Index, qui a mis en place des politiques pour la santé de ses travailleurs ainsi qu’une mission pour garantir l’accès à l’eau potable dans certaines régions du monde.
Intéressons-nous désormais aux deux derniers stades qui selon Grave et Laloux vont radicalement transformer l’humanité. Il s’agit ici dans une approche prospective qui ne concerne pour l’instant qu’une toute petite minorité de la population mondiale.
Stade organique
Il s’agit d’un horizon de pensée où les humains commencent à penser de façon organique.
D’un point de vue organisationnel, cela signifie qu’on considère l’entreprise comme une entité vivante avec une raison d’être propre. Le groupe fonctionne en auto-gouvernance.
Laloux prend exemple sur The Morning star Company aux États-Unis où les salariés fixent les objectifs de production et de rentabilité. Le véritable enjeu de notre ère consisterait donc à repenser la raison d’être de l’entreprise.
La communion globale
Le dernier stade correspond à une utopie systémique où l’humain se fond dans la biosphère qui l’entoure. Il s’agit d’une quête d’harmonie de l’homme avec son milieu.
Laloux n’a pas véritablement développé de fonctionnement d’entreprise pour cette étape.
Cette spirale dynamique de Grave adaptée par Laloux au monde de l’entreprise est très utile pour analyser l’environnement dans lequel évolue une entreprise. En effet un leader d’entreprise qui ne sait pas s’adapter aux besoins changeants de son marché finira par péricliter. Aujourd'hui, le stade « matérialiste », « pluraliste » et « organique » semblent cohabiter et cela amène les entreprises et les dirigeants à devoir repenser leur modèle de développement sur le long terme.