À chaque fois que nous devons prendre une décision, nous nous posons préalablement les questions du « quoi ? » et du « comment ? », qui permettent respectivement de décider de l’action à mener et de la manière de la réaliser. Toutefois, la question du « pour quoi ? » est souvent oubliée, et, plutôt que de nous questionner sur le sens et la finalité profonde de notre décision, nous préférons souvent justifier a posteriori les raisons qui nous ont poussé à agir de la sorte.
Pourtant, dans un monde professionnel toujours plus complexe, où les individus sont plus que jamais en quête de sens dans leur mission, une décision ne peut plus simplement être prise en considérant les seuls aspects objectifs de la situation.
Réflexion et intuition
Dans son livre « Thinking, Fast and Slow » (2011), Daniel Kahneman, professeur à l’université de Princeton spécialiste de l’économie comportementale et lauréat du prix Nobel d’économie en 2002, décrit la dichotomie entre deux systèmes de la pensée chez l’être humain :
- D’une part, la pensée réflexive, lente, réfléchie, logique, analytique, consciente. Elle est basée sur des éléments rationnels et permet de résoudre des problèmes abstraits complexes.
- D’autre part, la pensée intuitive, rapide, instinctive, émotionnelle, inconsciente. Elle est fortement influencée par nos biais cognitifs et nous permet de réagir rapidement à notre environnement, mais elle est aussi entre autres ce qui alimente notre créativité.
Pour la coach et formatrice Sylvia-Nuria Noguer, il est nécessaire d’avoir conscience de ces deux versants de la pensée pour prendre de bonnes décisions. En effet, contrairement à ce qui est souvent avancé dans les théories économiques libérales, l’homme n’est pas un « homo economicus » parfait, il n’est jamais parfaitement rationnel et informé. Au contraire, son processus décisionnel est altéré par ses émotions et par les informations qui lui manquent.
Une décision acceptable
Dès lors, pour un décideur, rien ne sert de prendre la décision la plus efficace théoriquement si ceux qui sont censés participer à sa mise en œuvre n’y adhèrent pas ou pire même entravent sa réalisation parce qu’ils ne croient pas en son bien-fondé. Ne raisonner qu’en termes de coûts engagés/bénéfices perçus pour chaque décision à prendre, c’est finalement réaliser une analyse insuffisamment complète de la situation, analyse qui en définitive ne résiste pas à l’épreuve des faits et aboutit à une mauvaise décision dans l’ensemble.
L’actualité politique nous donne de nombreux exemples venant appuyer cette idée. Ainsi, la relative opacité des institutions européennes, ainsi que leur éloignement géographique par rapport aux foyers de populations de l’espace qu’elles dirigent, suscite chez de nombreux citoyens de l’Union l’impression que des décisions sont prises indépendamment de leur volonté, et ce malgré le fait que l’Union Européenne soit objectivement l’une des institutions les plus démocratiques au monde, et que les politiques qu’elle applique sont conformes aux attentes moyennes des citoyens de l’Union. En ne prenant pas en compte les biais cognitifs et émotionnels de ses citoyens dans sa manière de prendre ses décisions mais aussi et surtout d’organiser le processus décisionnel, l’UE a miné la légitimité de ses décisions auprès des citoyens, rendu plus difficile leur bonne mise œuvre et s’est enfin désaxée de ses aspirations initiales.
Penser collectif
Désormais, il est absolument nécessaire de prendre des décisions dont la finalité est clairement établie et souhaitable pour tous, indépendamment des influences que nous pouvons subir et des impératifs à court-terme qui existent dans toutes les entreprises. Cela passe par la prise en compte d’aspects subjectifs attenants aux parties prenantes du projet en question. Il s’agit donc de bien considérer tous les acteurs de la mise en œuvre de la décision et de prendre en comptes leurs préoccupations, leurs émotions et leurs intérêts pour s’assurer que ces acteurs adhèreront bien au projet global et qu’ils agiront dans le sens de la décision, afin que celle-ci ait bien les effets escomptés.
Cela peut par exemple passer par l’instauration d’un processus de décision réellement collectif, qui permet de prendre en compte plus facilement les aspirations de chacun, mais aussi et surtout de donner de la légitimité à la décision prise. Or c’est précisément cette légitimité qui permet d’assurer une mise en œuvre de la décision conforme à ce qui est attendu et donc in fine d’atteindre les finalités visées.
Mobiliser son intelligence spirituelle
C’est ici que le concept de discernement prend toute son importance : discerner, c’est précisément « se rendre compte précisément de la nature, de la valeur de quelque chose, faire la distinction entre des choses mêlées, confondues » (Le Petit Robert), en d’autres mots distinguer les aspects objectifs et subjectifs liés à une situation, pour mieux les prendre en compte dans le processus de décision et ainsi faire de meilleurs choix.
Discerner, c’est donc avant tout identifier et dissocier clairement les différents facteurs objectifs et subjectifs qui auront une influence concrète sur l’efficacité de la décision, mais c’est aussi faire un travail sur soi, prendre du recul, se libérer de ses biais cognitifs et émotionnels en en prenant conscience, pour mieux définir le sens de sa décision.
Au-delà de l’intelligence intellectuelle, qui permet d’appréhender les aspects rationnels de la situation, et de l’intelligence émotionnelle, qui permet d’identifier avec lucidité ses émotions et ses besoins ainsi que ceux des autres, le discernement donc nécessite également que l’on mobilise son intelligence spirituelle, qui permet d’accorder nos choix aux finalités profondes auxquelles nous aspirons réellement.